Chapitre 29

Féroce passe en mode process

Chapitre 29 - Féroce passe en mode process

Au début d'une boîte, on est en mode artisan. On multiplie les casquettes, on fait tout à la main. C’est une étape aussi inévitable que nécessaire : le chiffre d’affaires est trop bas pour recruter ou sous-traiter, et tout reste à inventer — à commencer par le plan. Or, les meilleurs plans ne naissent pas dans les PowerPoint de consultants, mais dans la poussière et le bruit du terrain. Ils émergent à force d’itérations, d’essais, d’erreurs, et de leçons forgées au contact du réel.

S'inspirer de la Nature pour innover

C’est d’ailleurs le mode opératoire de la Nature. Pendant des millions d’années, des milliards de combinaisons de protéines ont émergé spontanément dans les cheminées hydrothermales au fond des océans. La plupart ont disparu sans laisser de trace. Mais certaines, par leur forme ou leur fonction, se sont révélées “utiles” — capables de s’associer, de catalyser des réactions, de transmettre de l’énergie. Progressivement, cette sélection naturelle a mené à l’émergence des premières formes de vie.

Le vivant aujourd’hui témoigne de cette extraordinaire logique de “fitness” évolutive : chaque espèce est une solution adaptée à un problème précis. Le chamois des Alpes, avec ses sabots antidérapants et ses articulations souples, se déplace sur des parois où tout autre animal glisserait. Le martin-pêcheur fend l’air et l’eau grâce à un bec profilé et un plumage hydrophobe, attrapant ses proies à la vitesse d’une flèche. Le cactus a troqué ses feuilles contre des épines pour limiter l’évaporation en plein désert. Et l’Homme, avec ses pouces opposables, sa sueur thermorégulatrice et son immense cerveau, s’est imposé comme l’explorateur par excellence.

Un fondateur ne fait rien d’autre : il cherche à créer un organisme parfaitement adapté à son environnement. D’où mon parti pris : à un stade précoce, mieux vaut agir que planifier. Les erreurs ne coûtent presque rien, mais l’action, elle, rapporte toujours : elle produit des données, nourrit nos intuitions et alimente nos fondations.

L'importance des process pour croître

Mais à mesure que l’organisme grandit, il a besoin d’un squelette. Les process jouent ce rôle : ils réduisent les frictions, standardisent la qualité et canalisent l’énergie au bon endroit. C’est exactement la phase que nous vivons aujourd’hui avec Féroce.

Au début de l’histoire, notre premier goulot d’étranglement a été l’approvisionnement. Trouver des fermes prêtes à s’engager sur un modèle 100% à l’herbe, sans maïs ni soja, relevait de l’exploit. Aujourd’hui, nous travaillons avec 13 éleveurs et en intégrons 1 à 2 nouveaux chaque mois pour tenir un rythme de production de 6 tonnes mensuelles.

Désormais, la contrainte s’est déplacée : elle est logistique. Perdre 2 minutes à inscrire manuellement un numéro de lot, ce n’est rien quand on expédie 20 colis par jour. Mais à 100 colis/jour, c’est 3 heures qui s’évaporent. Nous sommes aujourd’hui au rupteur : incapables de dépasser notre niveau d’expédition actuel sans transformer nos process. Et à ce rythme, la limite n’est plus théorique : elle est physique.

C’est pour ça qu’on installe un ERP : un système nerveux central pour notre logistique. Ce logiciel va fluidifier la gestion des stocks, fiabiliser les expéditions, et renforcer la traçabilité. Mais surtout, il repose sur notre expérience terrain — pas sur des procédures standardisées par d'autres. Et c’est essentiel, car chez Féroce, nous voulons faire les choses différemment.

Notamment en garantissant une traçabilité absolue à nos clients. Désormais, j’ai intégré nos producteurs dans une base de données et automatisé la génération des QR Codes sur les étiquettes. Ces QR Codes racontent une histoire : celle du produit (numéro de lot, DLC...), du producteur (interviews, pratiques agricoles), et de sa densité nutritionnelle (analyses labo). Mais ils servent aussi à notre logistique interne : chaque scan devient un point de contrôle dans notre chaîne de traçabilité.

On pourrait croire que c’est banal. En réalité, c’est assez rare. La plupart des marques se contentent de codes-barres anonymes. Nous, on veut reconnecter la Terre à l’Assiette. Notre ancien système artisanal était facile à gérer avec 2/3 producteurs, mais devenait de plus en plus à risque d'erreur avec notre développement. D'ailleurs, il y en a : le QR Code sur les étiquettes du suif envoie sur le moulin de l'huile d'olive...

Ce n’est peut-être pas la partie la plus sexy du développement d’une entreprise, mais ces fondations technologiques et organisationnelles nous permettront de passer à l'étape suivante : 7M€ de chiffre d’affaires en 2026. Un chiffre qui, pour nous, n’est pas une fin en soi, mais témoigne de notre ambition de peser dans la transformation de l’agriculture et de l’alimentation en France.

Comme dans la nature, les entreprises qui prospèrent sont celles qui trouvent l’équilibre entre l’Ordre et le Chaos. L’ordre, c'est la structure qui permet la continuité. Le chaos, c'est la variabilité qui conduit à l'innovation.

Aller au chapitre 28
Chapitre 28 - Viande, croyances et science
Aller au chapitre 30
Chapitre 30 - La viande Féroce est elle trop chère ?